Les professionnels ayant pour mission l’accompagnement des jeunes sont confrontés à des situations cruciales les obligeant à réinterroger leurs pratiques, leurs méthodologies de travail, voire leur mission. Voilà une affirmation avec laquelle Alain Ruffion est d’accord et si dans la plus grande partie de l’histoire de l’humanité, l’éducation a consisté à transmettre les traditions, les sociétés modernes ont orienté différemment la mission éducative.
Elles ont exigé de l’éducation que celle-ci prépare les générations montantes à s’adapter aux transformations sociales générées en première intention par l’économie. Malgré quelques secousses idéologiques survenues dans les années 70, on peut dire que jusqu’à ces dernières années, que “l’économisme” a prévalu dans l’éducation sous la forme de valeurs comme la primauté accordée à l’avoir sur l’être, à la concurrence sur la solidarité, au présent sur le futur, à l’individu sur la collectivité, au virtuel sur le réel, au signe sur l’identité, à l’image sur la chose même. A partir du moment où des problèmes graves, comme par exemple la carence d’emploi et le SIDA, sont venus brutalement bouleverser les données habituelles de l’éducation, les professionnels se sont trouvés confrontés à l’échec d’un modèle et d’un système de valeurs.
Un constat alarmant
Depuis quelques années, nous observons dans notre pratique de formation des acteurs du champ éducatif et social que ceux-ci sont saisis par un effet de sidération ayant pour conséquence l’émergence de contre-attitudes à l’égard de leurs publics. Aux prises avec des sentiments d’échec, d’impuissance, d’inutilité voire de culpabilité sociale, les adultes qui interviennent directement auprès des jeunes expriment leur peur d’être pris en défaut ; de ne pas pouvoir leur apporter de réponses concrètes : “On n’a rien à leur proposer et on ne sait pas quoi leur dire”. A ce titre, les événements sociaux récents liés au CIP et la journée du 7 avril consacrée au SIDA nous ont bien montré à quel point la surimpression de deux discours tenus à l’intention des jeunes en matière d’emploi et de sexualité (les deux modes d’émancipation majeurs de la jeunesse) pouvait, si on n’y prenait garde, leur clore toute possibilité de projet et d’avenir. C’est comme si tous les discours tenus aux jeunes leur signifiaient en creux : “Tout s’arrête avec vous”.
Or précisément rien ne s’arrête et l’histoire nous a montré que les discours de désespoir voire de compassion au lieu de faciliter le changement et l’évolution favorisaient plutôt la régression, la rigidité, l’archaïsme, la transformation des victimes en boucs-émissaires et la violence de type sacrificiel. Aussi à l’heure où tout le monde s’accorde sur la nécessité d’entamer un dialogue avec les jeunes et l’importance de la mise en place de groupes d’expression et de parole, il est urgent pour les institutions et les professionnels de réinvestir leur fonction symbolique, leur place et leur rôle. C’est à cette condition que ces groupe d’expression et de paroles pourront avoir quelque utilité car la première chose dont on a besoin quand on parle, c’est d’être entendu. L’urgence consiste là, non pas à se préoccuper en priorité de ce que l’on pourra bien répondre mais de réunir les conditions d’une écoute élaborante.